Les effets de la crise  &  la nouvelle Amérique

 (19 septembre 2009)

La renaissance du nucléaire, dont la presse se fait l’écho avec insistance depuis quelques années est bien une réalité, même si certains mouvements anti-nucléaires soulignent qu’il faudrait plutôt parler de son dégonflage ! Ils mettent en effet en lumière les rares mises à l’arrêt de vieilles centrales ou le report de quelques projets insuffisamment mûrs ou encore quelques décisions américaines tout à fait atypiques. Ils espèrent ainsi cacher la réalité : une tendance lourde au développement lent, mais durable, des programmes nucléaires.

La crise économique que traverse le monde joue concrètement sur les projets des grands électriciens de différentes façons : certains rencontrent des difficultés pour réunir les ressources financières nécessaires, d’autres prennent simplement acte de la réduction des besoins en énergie découlant de la situation économique et laissent glisser certains projets. Pour certains enfin la modération, sans doute provisoire, des prix du pétrole et du gaz rend moins pressante la demande de nucléaire.

A ces facteurs viendra peut-être s’en ajouter un autre, si à Copenhague, en décembre prochain, un effort international est enfin décidé en vue d’une réduction des rejets de gaz carbonique dans l’atmosphère : en effet, bien que non émettrice de gaz à effet de serre, l’énergie nucléaire ne bénéficiera pas des mêmes aides que les énergies renouvelables et la course aux économies d’énergies.

Cela étant une renaissance un peu moins vive n’est pas pour déplaire : les organisations opposées au nucléaire, bien que clairement mises en échec au plan idéologique, trouvent là un motif de se réjouir; les industriels et les autorités qui peinent à faire face aux contraintes d’une renaissance tous azimuts, s’en accommodent in petto sans déplaisir, mais c’est regrettable pour la planète.

C’est une bonne chose que les pays du Proche et du Moyen Orient, par exemple, prennent le temps nécessaire pour mettre en place le cadre juridique approprié, installer les structures idoines et réunir des équipes compétentes à même de mener à bien des projets importants. Plus près de nous, AREVA, EDF et l’AIEA, chez qui le bouillonnement des projets induit une pression extrêmement forte, se sentent plus à l’aise pour développer, recruter et former leurs équipes.

Certains, c’est vrai, ressentent durement les conséquences de la crise : l’Afrique du Sud a dû, faute de moyens financiers,  abandonner (différer ?) son ambitieux programme nucléaire et se rabattre sur des solutions en définitive plus coûteuses à terme mais moins gourmandes en capitaux investis et pour certaines, moins favorables à l’environnement. Pour les mêmes raisons, la Bulgarie risque fort de devoir abandonner son projet de Bellene, pourtant indispensable au pays. Ce projet porte sur la construction de 2 VVER 1000 de technologie russe dotés d’un contrôle/commande Areva/Siemens et a pour promoteur RWE et l’état bulgare ainsi que le soutien de la Banque Européenne de Développement. De son côté, la Roumanie peine à lancer l’extension Cernadova 3 & 4, projet de construction de deux nouvelles tranches de type Candu de 720 MWe sur un site où une première tranche est en fonctionnement et une seconde encore en construction. Il s’agit d’un projet important auquel souhaitent participer de grands électriciens : CEZ, ENEL, Electrabel, RWE et Iberdrola ainsi qu’Arcelor Mittal. La Lituanie, comme la Turquie, enfin semblent maintenant hésiter. Par ailleurs quelques glissements sont possibles en Angleterre et en Italie car si les gouvernements veulent mener un train rapide ils laissent à l’industrie le soin de réaliser leurs ambitions et n’hésitent pas à subventionner les énergies renouvelables.

 La crise ne devrait cependant pas avoir raison de la renaissance du nucléaire comme le montrent les récents développements en Suède, aux Pays-Bas, en Suisse, en Tchéquie, au Brésil, dans les Emirats Arabes Unis et plus encore en Inde et en Chine.

En revanche, plus près de nous, en Allemagne, en Belgique ou en Espagne, en dépit de  l’urgence, il n’y a rien de concret, certains frémissements ne constituant pas une politique.

Aux Etats-Unis, le contexte est tout autre : ainsi qu’il fallait s’y attendre, l’arrivée d’une nouvelle administration démocrate contrarie certains programmes nucléaires en cours de lancement.

Contrairement à la précédente, la nouvelle administration prend enfin la défense du climat : un virage complet est pris. Les objectifs annoncés ne sont pas encore à la hauteur des enjeux : l’Amérique voudrait-elle montrer la voie au monde tout en trainant les pieds ? Comme annoncé par Barack Obama tout au long de sa campagne, la nouvelle administration prône le recours aux énergies renouvelables (éolien, photovoltaïque), les économies d’énergie, la recherche de l’efficacité énergétique ainsi que la mise en œuvre rapide de la capture et du stockage du CO2.

Le président Obama défend son programme avec beaucoup de talent et de conviction – et il est vrai que dans tous ces domaines les potentiels du pays sont considérables – mais n’écoute guère pour l’instant ceux qui soulignent – y compris dans sa propre administration ou au Congrès – que le nucléaire ne peut pas être ignoré : il est au point, le seul susceptible de produire en grande quantité une énergie économique et non carbonée alors que le solaire, la séquestration du CO2 ou les réseaux intelligents nécessitent encore des recherches. Le professeur Steven Chu, un prix Nobel respecté et actuel ministre de l’énergie (DoE), souligne assidument la nécessité d’une importante composante nucléaire aux cotés des énergies renouvelables. Exprime-t-il une conviction personnelle ? Ou bien se livre-t-il à de l’incantation avec l’espoir d’être entendu à la Maison Blanche ?

Sauf exception, les électriciens désireux de lancer la construction de nouveaux réacteurs (une vingtaine de projets de réacteurs sont  dans les tuyaux) s’attendent  donc à quelques retards. Ils ne bénéficient pas des financements fédéraux pour la relance économique, comment aurait-il pu en être autrement, ces financements étant avant tout destinés à être dépensés dans l’année ? Par ailleurs, force est de reconnaitre que l’industrie n’a toujours pas utilisé les crédits et garanties prévus par l’administration Bush et toujours disponibles.

Les choses avancent néanmoins, mais tout prend du temps alors qu’il faudrait faire vite et on observe  certains électriciens manifester leur découragement d’autant plus que, dans quelques états, des résistances subsistent. Par ailleurs, l’industrie n’a pas manqué de noter que, dans son discours sur l’énergie du 29 juin, le président n’avait pas prononcé une seule fois le mot nucléaire. Rien n’indique à ce jour que la loi sur l’énergie qui devrait être votée dans quelques mois viendra corriger cet oubli : les lobbies sont à la manœuvre pour sensibiliser les sénateurs républicains à ce sujet. Les défis sont pourtant considérables : un américain émet deux fois plus de CO2 qu’un allemand et trois fois plus qu’un français.

Pour ce qui est du cycle, c’est arrière toute si on peut dire : de 25 ans en ce qui concerne Yucca Mountain (stockage des combustibles usés) virtuellement abandonné ou de 5 ans pour ce qui est du retraitement / recyclage : l’ambitieux programme GNEP lancé par l’administration Bush il y a un peu plus de 5 ans pour aider les pays désireux de recourir à l’énergie nucléaire tout en les dissuadant de s’intéresser à l’enrichissement et au retraitement et qui avait séduit de nombreux pays (21 adhérents, 17 observateurs sans compter quelques 20 manifestations d’intérêt) vient d’être balayé sans aucune consultation des partenaires étrangers; et les recherches fondamentales sur un retraitement plus sûr, plus poussé, moins cher et moins proliférant (discours bien rodé depuis des lustres) reprennent de plus belle. Les grands laboratoires de recherche s’en frottent d’ores et déjà les mains ! Bien sûr, de façon à regagner les points acquis au cours des dernières années, AREVA poursuit ses efforts de promotion du recyclage.

Alors qu’ils regrettaient naguère le retard du programme Yucca Mountain et l’engouement de l’administration pour le recyclage, voire le MOX, les électriciens – apparemment rejoints par le MIT et une partie de l’opinion publique – déplorent aujourd’hui l’abandon de Yucca Mountain et la perspective d’un report du recyclage. On peut les comprendre : en effet comment peut-on durablement ni stocker, ni recycler les combustibles usés ?

Bref, les choses avancent de façon pittoresque et, à défaut de recycler les combustibles, on recycle les vieilles lunes. Dit sans langue de bois : il n’y a aucune visibilité sur l’avenir. On comprend dans ces conditions que les grands électriciens s’échauffent. Ce n’est pas ainsi que les Etats-Unis retrouveront dans le domaine nucléaire un leadership qu’ils ont perdu depuis longtemps. Gageons que, le temps passant, un certain réalisme réapparaitra assez vite, les faits  –  là-bas comme ailleurs – étant têtus.

                                                                                                                 Bernard Lenail